Le 19 mai 2025, l’ASPAS et cinq associations partenaires – ASFA, AEVA, AMAZONA, TO-TI-JON et Vétérinaires pour la biodiversité – ont déposé un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’État pour contester partiellement un arrêté ministériel du 7 mars 2025. En effet, cet arrêté fixe la liste des oiseaux protégés en Guadeloupe mais, faisant droit au lobby des chasseurs, omet injustement plusieurs espèces pourtant gravement menacées, sans raison objective.
Ce recours vise à obtenir l’annulation partielle de l’arrêté en ce qu’il exclut huit espèces pourtant reconnues comme en danger ou vulnérables.
Huit espèces oubliées… à tort
Deux espèces nicheuses endémiques :
- La Grive à pieds jaunes (Turdus lherminieri), présente uniquement dans 3 ou 4 îles dans le monde, et classée « vulnérable » en Guadeloupe
- Le Pigeon à couronne blanche (Patagioenas leucocephala), classé « en danger » en Guadeloupe.
Six espèces hivernantes / migratrices :
- La Barge hudsonienne
- Le Courlis corlieu/hudsonien
- Le Petit Chevalier à pattes jaunes
- Le Bécassin roux
- Le Pluvier argenté
- Le Pluvier bronzé
Ces 6 espèces appartiennent à la voie migratoire ouest-atlantique, qui connaît un déclin dramatique de ses populations d’oiseaux limicoles : plus de 50 % de pertes en 40 ans pour certaines espèces.
Des espèces à protéger d’urgence
Toutes ces espèces figurent sur les listes rouges de l’UICN comme espèces menacées ou quasi menacées, certaines étant même en voie d’extinction régionale. Par ailleurs, leur protection est scientifiquement justifiée :
- L’aire de répartition des populations est pour certaines extrêmement limitée (endémisme insulaire = fragilité accrue).
- Leur état de conservation est préoccupant, confirmé par les listes rouges de l’UICN.
- Les experts du CNPN, du comité français de l’UICN et des institutions scientifiques locales recommandent tous leur inscription immédiate parmi les espèces protégées.
- Ces espèces sont parfois protégées ailleurs (en Guyane notamment), ce qui rend leur statut chassable en Guadeloupe incohérent et injustifiable.
Enfin, leur protection est juridiquement impérative : la France s’est engagée, à travers la loi et plusieurs conventions internationales (protocole SPAW, Convention sur la diversité biologique…), à préserver les espèces menacées et leurs habitats.
Pourquoi c’est important ?
Ces oiseaux ne sont pas seulement des symboles de la richesse naturelle des Antilles : ils jouent un rôle crucial dans les écosystèmes. Insectivores, granivores ou consommateurs de mollusques, ils contribuent à l’équilibre des milieux humides, forestiers et littoraux, à la dissémination des graines, au contrôle des populations d’insectes et au bon fonctionnement des chaînes alimentaires.
Leur disparition aurait un effet domino sur l’ensemble de la biodiversité locale.
De plus, nombre d’entre eux sont endémiques ou migrateurs au long cours, ce qui les rend particulièrement vulnérables : petite population, faible résilience, dépendance à plusieurs territoires, habitat fragmenté, etc. Ils constituent un patrimoine naturel irremplaçable.
Une action dans la continuité de notre combat
Cette action s’inscrit dans une lutte de longue haleine menée depuis plus d’une décennie par l’ASPAS et ses partenaires pour faire interdire la chasse de ces espèces et exiger leur protection effective. De nombreuses victoires judiciaires ont été obtenues ces dernières années, notamment :
- Annulation de la chasse de trois oiseaux menacés aux Antilles : une avancée majeure obtenue en 2022 → Lire l’article
- Suspension régulière des arrêtés de chasse pour la Grive à pieds jaunes et le Pigeon à couronne blanche grâce à des actions en justice → Exemples ici, ici et là
- Reconnaissance de l’importance mondiale de la population guadeloupéenne de Grive à pieds jaunes → En savoir plus
En dépit de ces décisions de justice, l’État tarde à inscrire durablement ces espèces sur la liste des espèces protégées. Ce recours vise donc à forcer l’État à respecter ses obligations légales et internationales en matière de protection de la biodiversité afin d’éviter que ces oiseaux ne disparaissent de nos territoires insulaires.
Cette bataille est loin d’être symbolique : elle concerne des espèces en danger d’extinction, dont certaines sont uniques au monde, comme la Grive à pieds jaunes. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour les Antilles, pour la biodiversité mondiale et pour la cohérence des politiques environnementales françaises.
Photo d’en-tête : R. Gomès