Le loup sacrifié : recul historique en Europe, danger imminent en France

Ça y est, c’est voté… Le 5 juin, le Conseil de l’Union européenne s’est réuni pour entériner officiellement le déclassement du statut de protection du loup au niveau européen dans la directive Habitats. Auparavant “strictement protégée” par le texte, l’espèce sera maintenant seulement “protégée”.  

Cette décision, qui va à l’encontre des avis scientifiques comme de l’opinion publique, risque d’avoir des conséquences dramatiques dans les différents États membres : facilitation des tirs, pression accrue sur une espèce encore fragile et incitation générale à l’abandon des politiques de coexistence. Derrière ce revirement se cache une volonté politique assumée de sacrifier un symbole de la nature sauvage sur l’autel d’intérêts électoralistes et productivistes. 

Les grandes dates de la protection du loup

1982 : la Convention de Berne

Le loup obtient le statut d’espèce “strictement protégée” en Europe grâce à la Convention de Berne, un traité international du Conseil de l’Europe signé en 1982 par 49 pays et par l’Union Européenne qui réglemente la conservation de la flore et de la faune sauvages et des habitats naturels dans les États signataires. Le loup y est classé dans l’annexe IV, qui détermine la liste des “espèces animales et végétales présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte”. 

Ce statut impose aux États de prendre “les mesures législatives et réglementaires appropriées et nécessaires” pour assurer la conservation du loup. Le texte prévoit toutefois des exceptions, dans des circonstances “dûment justifiées”, en l’occurrence principalement la prévention des dommages aux troupeaux, qui permettent sous certaines conditions la “destruction” d’individus. 

1992 : un pas supplémentaire

En 1992, la réglementation de la Convention de Berne est transposée au niveau de l’Union européenne à travers la directive Habitats, dans laquelle le loup est donc aussi classé comme une “espèce strictement protégée”.  

2022 : le début de la fin

En novembre 2022, les députés du Parlement européen lancent la première étape du processus de déclassement du loup : l’adoption d’une résolution en faveur de la révision du statut de protection stricte des grands carnivores.

2023 : la politique s’en mêle

En septembre 2023, Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, appelle toutes les parties intéressées (communautés locales, scientifiques…) à “soumettre des données actualisées sur les populations de loups et leurs impacts”. S’ensuit la publication d’un rapport sur la situation du loup dans l’Union européenne… qui sert finalement de caution politique à une volonté déjà largement orientée : celle de fragiliser délibérément la protection du loup, au profit d’intérêts à court terme. 

Ce texte, publié sans validation académique ni relecture par des pairs, est massivement rejeté par la communauté scientifique. Les raisons :

  • L’évaluation de l’état de conservation du loup en Europe réalisée en 2022 par l’Initiative pour les grands carnivores en Europe, groupe de spécialistes de la Commission de sauvegarde des espèces de l’UICN, sur lequel s’appuie le rapport, avait précédemment conclu à maintenir le statut d’espèce protégé du loup. Cette conclusion – qui n’a pas changé depuis – avait d’ailleurs à l’époque amené le Conseil de l’Union européenne à refuser une première proposition de déclassement du loup… 
  • Selon une étude scientifique indépendante (Randi & Fisher, 2025), ce rapport indique que la moitié des populations de loups observées en Europe sont dans un état de conservation défavorable… 

Pourtant, à l’encontre de ces éléments, le 20 décembre 2023, la Commission européenne soumet formellement au Conseil de l’Union européenne une proposition de décision en vue “d’adapter le statut de protection du loup au titre de la Convention de Berne”.

2024 : le coup fatal à la Convention de Berne

Le 25 septembre, 2024 le Conseil de l’UE demande au Comité permanent de Berne de changer l’inscription du loup de l’annexe II vers l’annexe III de la Convention, qui sera acceptée le 3 décembre  pour une entrée en vigueur le 7 mars 2025. Ce jour-là, le loup dégringole donc officiellement dans le texte de son statut d’espèce “strictement protégée” à celui d’espèce “protégée”. 

Un recul historique, qui marque une rupture nette avec les engagements initiaux de la Convention de Berne, conçue pour enrayer l’effondrement de la biodiversité. En l’abaissant, les États membres renoncent symboliquement et concrètement à assumer leurs responsabilités face à la 6e extinction de masse. 

2025 : tout s’accélère avec la directive Habitats

Dès le 7 mars 2025 – le jour-même de l’entrée en vigueur du déclassement du loup dans la Convention de Berne –, la Commission européenne propose d’aligner la législation de l’Union européenne aux nouvelles dispositions en vigueur. Le 16 avril, le Conseil de l’UE marque son accord sur cette proposition. Le 24 avril, une commission demande la mise en place d’une procédure d’urgence, permettant d‘accélérer la procédure de vote. Le 8 mai, les députés du Parlement européen adoptent le projet.

Jeudi 5 juin, le vote final du Conseil de l’Union européenne a validé officiellement l’abaissement du statut de protection du loup dans la directive Habitats. Cette décision entrera en vigueur 20 jours après sa publication dans le Journal Officiel. 

Cette procédure d’urgence, à rebours des principes démocratiques, illustre la précipitation avec laquelle certains États membres ont souhaité répondre aux pressions de certains lobbies, au détriment de toute réflexion intelligente ou approche scientifique, écologique ou même juridique. 

Concrètement, ce nouveau statut de protection du loup en tant qu’espèce “protégée” au niveau européen ouvre la possibilité pour les États de revoir à la baisse leur politique de gestion de l’espèce sur leur territoire. Dans ce cadre, ils devront cependant toujours s’assurer du maintien des populations dans un état de conservation favorable. Ils pourront également faire le choix de maintenir des mesures de protection plus strictes que celles désormais imposées par les textes européens, même si rien ne les y oblige. C’est l’option retenue par plusieurs pays, dont la Pologne, le Portugal, la Tchéquie et la Belgique qui ont déjà confirmé qu’ils conserveront une politique stricte de protection du loup dans leurs pays, et celle qui doit être encouragée dans les autres États ! 

À lire aussi : Des loups moins protégés : ce que ça changerait pour eux, et pour nous… 

Demain : la législation française

Aujourd’hui, en France, la condition du loup est définie par plusieurs textes :

  • Protection de l’espèce : l’arrêté du 23 avril 2007 liste les mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et fixe les modalités de leur protection. 
  • Dérogations : sous condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et qu’elles ne nuisent pas au maintien des populations des espèces concernées dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle, des dérogations peuvent s’appliquer. Leur mise en œuvre est définie notamment par l’arrêté du 21 février 2024, qui réglemente le protocole de tir et donne aux préfets le pouvoir de délivrer des autorisations de destruction du loup. Ce protocole prévoit une réponse progressive à la menace, de l’effarouchement au tir létal. 
  • Pourcentage de loups tués : l’arrêté du 23 octobre 2020 fixe quant à lui le “plafond de destruction”, c’est-à-dire le nombre maximum de loups qui peuvent être tués tout en maintenant les populations dans un état de conservation favorable. 
  • Aides pour la protection des troupeaux : la loi française prévoit par ailleurs des aides pour la protection des troupeaux, proportionnées au risque de dommages et déterminés selon des critères géographiques, ainsi que des indemnités en cas de prédation avérée du loup sur des animaux d’élevage.  

Mais ces outils de coexistence sont de moins en moins valorisés au profit d’une logique de “gestion” par la destruction, et ce malgré les sommes très importantes engagées pour étudier et chercher des solutions à la protection des troupeaux ET des loups. Depuis plusieurs années, la France multiplie les dérogations et augmente les quotas de tirs, souvent en contradiction avec ses propres objectifs de conservation. Pourtant, abattre les loups ne réduit ni les risques, ni les attaques sur les troupeaux, bien au contraire ! Déclasser le loup pour en faciliter l’élimination n’est en aucun cas une réponse pertinente aux difficultés rencontrées par les éleveurs.

Si la France adopte aussi la stratégie d’abaisser la protection du loup, elle enverra un signal désastreux : celui d’un pays qui choisit la régression et qui préfère flatter les pulsions anti-nature plutôt que d’investir dans l’avenir et la résilience de ses territoires. 

Les conséquences désastreuses du déclassement 

L’affaiblissement du statut de protection du loup entraîne de lourdes conséquences pour eux, pour la biodiversité, pour l’environnement… et pour l’humain !

1. C’est ouvrir la voie à une véritable régulation des loups, avec mise en place de quotas de chasse ; 
2. C’est réduire la valeur écologique du loup (gestion des populations d’herbivores et de sangliers, régénération forestière, etc.) ;
3. C’est banaliser davantage les atteintes à son égard (risque de recrudescence du braconnage et peines moins importantes) ;
4. C’est mettre à mal tous les efforts de conservation menés ces dernières décennies permettant à l’espèce de se rétablir ;
5. C’est mettre en péril une population toujours considérée en mauvais état de conservation par l’UICN ;
6. C’est ignorer l’avis des scientifiques et de leurs nombreuses études sur le loup ; 
7. C’est réduire à néant les investissements déjà déployés par l’UE en faveur d’une cohabitation harmonieuse entre les grands prédateurs et les activités d’élevage ;
8. C’est dénigrer l’ensemble des éleveurs qui sont favorables à l’idée de coexister avec la faune sauvage, et qui ont consenti beaucoup d’efforts dans la protection de leurs troupeaux pour se prémunir des attaques de loup ;
9. C’est appauvrir la biodiversité et augmenter les déséquilibres écosystémiques, en pleine 6e extinction de masse ;
10. C’est priver les agriculteurs de régulateurs naturels des ongulés sauvages qui peuvent occasionner des dégâts sur leurs cultures (sangliers, cerfs, chevreuils, etc.) ;
11. C’est priver les forestiers de précieux alliés naturels pour disperser les cervidés et favoriser la régénération de la végétation ;
12. C’est créer un dangereux précédent et ouvrir la porte à d’autres régressions environnementales, notamment contre l’ours ou le lynx.

Nous ne lâchons rien ! 

Les prochaines semaines seront donc décisives : les États vont maintenant devoir choisir d’aligner ou non leurs politiques nationales sur les nouvelles dispositions européennes.  

En France, le gouvernement s’est malheureusement jusqu’ici illustré par sa désastreuse gestion politique du sujet, et a pour le moment systématiquement voté en faveur du déclassement du loup. 

À lire aussi : Les mauvais résultats d’une gestion politique du loup

L’ASPAS, au côté des autres associations, reste pleinement mobilisée pour inciter l’État français à conserver un statut de protection stricte du loup sur le territoire et à mettre en place un véritable plan d’actions ambitieux en matière de conservation de l’espèce ! 

Au niveau européen, les résultats de deux procédures sont aussi toujours attendus, et pourraient encore faire évoluer la situation :

  • Une enquête menée par la Médiatrice de l’Union européenne sur les conditions dans lesquelles la Commission européenne a pris cette décision. 
  • Un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, déposé par 5 ONG, soutenues par 17 autres organisations dont l’ASPAS, pour demander l’annulation du déclassement du loup. 

Agissez à nos côtés ! 

Ne laissons pas les décisions se faire sans nous. Face à l’urgence écologique, défendre le loup, c’est défendre un autre rapport au vivant, plus juste, plus respectueux, plus durable.

Vous pouvez, vous aussi, vous mobiliser à nos côtés pour faire entendre la voix des loups !  

Et pour nous aider à poursuivre toutes nos actions en faveur de la protection du loup, pour qu’il puisse enfin reprendre sa juste place dans nos paysages, vous pouvez aussi vous engager à nos côtés, ou nous soutenir en adhérant à l’association ou en faisant un don. Merci à vous pour votre mobilisation ! 

© Photo d’en-tête : CC0

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