Aux côtés de nombreuses associations, personnalités et représentants du monde scientifique, l’ASPAS co-signe cette tribune pour demander à l’UE de maintenir la protection stricte des loups en Europe. Un appel d’abord publié par le journal Le Monde, le 30 octobre 2024.
L’histoire se répète. L’Union européenne vient d’accueillir favorablement, le 25 septembre, la proposition faite en 2023 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de réviser le statut de protection des loups en Europe, sans doute pour calmer un monde agricole en proie à de graves difficultés socio-économiques. Le nouveau premier ministre français lui emboîte le pas. On peut résumer leur credo : les loups sont plus nombreux, tuons-en davantage. Pour autant, on ne soulagera pas la souffrance des éleveurs en massacrant encore plus de Canis lupus.
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Jusqu’à présent, le carnivore a pu retrouver une place dans nos écosystèmes grâce à son statut d’espèce dite « strictement protégée », octroyé par la convention de Berne en 1979. Ursula von der Leyen s’appuie sur la haine ancestrale du loup afin de plaider, sans aucun argument scientifique, son déclassement au rang d’espèce « protégée ». Ce qui signifie un assouplissement des conditions des tirs mortels dans un contexte où, déjà, sur les près de 1 000 individus estimés en France, 20 % sont légalement éliminés, soit 200 loups par an – la même proportion que les cerfs, une espèce chassable. En matière d’espèce « strictement protégée », on peut donc mieux faire…
De plus, les abattages illégaux sont déjà nombreux, et mal quantifiés à cause de l’omerta qui règne. Parfois, ils s’accompagnent d’actes de cruauté comme à Saint-Bonnet-en-Champsaur (Hautes-Alpes), où une louve a été pendue à l’entrée de la mairie en 2021 ; celles et ceux, environnementalistes comme éleveurs, qui voudraient dénoncer ces actes n’ont pas toujours le soutien escompté des pouvoirs publics. En 2023, les estimations de la population de loups en France montrent pour la première fois une régression de 9 %, probablement due au « quota » (plan loup) de tirs en vigueur et aux tirs illégaux.
Cette volonté de tuer plus de loups est totalement anachronique, alors même que la situation de coexistence s’est améliorée. Quel est l’objectif souhaitable ? Tuer plus de loups ou faire baisser les pertes des éleveurs ? Si les prédations lupines augmentent légèrement à l’échelle européenne, elles ont baissé en France en 2023. Les choses ne sont certes pas parfaites et nécessitent davantage d’études et d’expérimentations.
Baisse des dommages
Des éleveurs demeurent dans des situations tendues psychologiquement et économiquement, mais une stabilisation, voire une baisse, des dommages, se constate en France depuis 2017, malgré un doublement du nombre de loups entre 2017 et 2023. Ainsi, un accroissement du nombre de loups n’est pas nécessairement corrélé à une augmentation des dommages.
Les populations de loup s’autorégulent, et la concurrence entre les meutes pour les proies sauvages fait qu’un nombre maximal d’individus sur un même territoire est atteint dès lors qu’il y a reproduction. Mieux protéger les troupeaux et transformer certaines pratiques d’élevage est efficace, permettant d’éviter aussi d’autres pertes (autres prédations, vols).
Dans les Alpes, où le loup est durablement installé, plus de la moitié des fermes qui ont contractualisé des mesures de protection avec les pouvoirs publics n’ont subi aucune attaque. Selon la Mutuelle sociale agricole, c’est aussi dans les Alpes, où il y a le plus de loups, que l’élevage ovin est le plus dynamique en matière d’installations et de création d’emplois. Et, rappelons-le, les loups causent moins de pertes que les parasites ou les maladies : d’après la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la fièvre catarrhale a provoqué cette année la mort de plus de 500 000 brebis – bien plus que les loups en trente ans.
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Si les actions préventives menées sur le terrain présentent une efficacité réelle, aucune étude ne prouve, au contraire, celle des tirs létaux pour diminuer la prédation des loups sur le bétail. Eliminer un ou plusieurs individus au sein de la meute peut inciter les individus restants à devenir plus téméraires et accélérer leur dissémination. Un seul loup peut commettre plus de dégâts que des meutes installées, notamment dans les territoires non préparés. Faire du loup le bouc émissaire des difficultés économiques des éleveurs, c’est à la fois ne pas s’attaquer aux causes de ces dernières et menacer la protection de l’environnement.
L’affaire de tous
D’autant que le loup est aussi un agent naturel qui, en chassant les grands herbivores, contribue à limiter l’abroutissement nuisant à la régénération des arbres. Par ailleurs, une majorité de citoyens est favorable à sa préservation et à une cohabitation avec le monde de l’élevage, auquel les Français sont aussi attachés. Ce n’est donc pas uniquement aux chasseurs et aux éleveurs d’influer sur le destin des loups. Le loup est l’affaire de tous.
Nous ne croyons pas qu’Ursula von der Leyen souhaite venger son poney dévoré par les loups en 2022. Il s’agit sans doute plutôt d’un calcul politique pour se concilier les voix de droite et d’extrême droite hostiles à toute véritable politique environnementale dont le loup est l’incarnation forte. Sacrifier le loup s’inscrit dans une réaction antiécologique plus profonde que l’on voit se dessiner sur d’autres thématiques telles que les pesticides ou la pêche.
Nous demandons au gouvernement français de prêter attention à la voix des scientifiques et des acteurs de la cohabitation, et de proposer aux professionnels de l’élevage des solutions plus pérennes, notamment dans les fronts de colonisation du loup et pour la protection des bovins.
Nous demandons à la Commission européenne de ne pas se détourner des véritables raisons de la souffrance du monde agricole. Nous appelons expressément les élus français et européens au maintien du classement du loup en espèce strictement protégée, car il est plus que jamais vital de sauvegarder et d’améliorer les dispositifs réglementaires permettant de lutter contre l’appauvrissement de la biosphère. Il est temps de faire la paix avec la nature.
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Auteurs : Farid Benhammou et Philippe Sierra, géographes, chercheurs associés au laboratoire Ruralités (université de Poitiers), auteurs de « Géographie des animaux. De la zoogéographie à la géopolitique » (Armand Colin, 2024) et cofondateurs du collectif GATO (Géographie, animaux non humains et territoires) ; Mélina Zauber, documentariste.
Signataires : Jean-David Abel, France Nature Environnement ; Marie Amiguet, cinéaste (La Panthère des neiges, César 2022) ; Clara Arnaud, écrivaine ; Isabelle Autissier, navigatrice, présidente d’honneur du WWF France ; Muriel Arnal, One Voice ; Jean-Michel Bertrand, cinéaste (Marche avec les loups, 2024) ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ; Lydia, Claude et Emmanuel Bourguignon, microbiologistes, spécialistes des sols ; Marie et Pierre Boutonnet, naturalistes, guides nature à Casa Folgueras (Espagne) ; Denis Chartier, géographe, professeur à l’université Paris Cité ; Bernard Chevassus-au-Louis, association Humanité et Biodiversité ; Alexandre Cousin, éleveur-berger, élu au conseil régional des Hauts-de-France ; Patrick Degeorges, philosophe et politiste, Institut Michel Serres (IMS)/Institut des hautes études pour les pratiques et les arts de transformation (Ihepat) ; Renaud de Bellefon, animateur nature et culture ; Yolaine de La Bigne, administratrice et porte-parole de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) ; Cyril Dion, auteur et réalisateur ; Marine Drouilly, biologiste, coordinatrice de recherches pour l’ONG Panthera et université du Cap (Afrique du Sud) ; Maie Gérardot, géographe, laboratoire Ruralités (université de Poitiers) ; Philippe Huet, écrivain et guide ; Jean-Marc Landry, éthologue, Institut pour la promotion et la recherche sur les animaux de protection (IPRA) ; Rémi Luglia, historien, président de la Société nationale de protection de la nature (SNPN) ; Guillaume Marchand, géographe ; Rémy Marion, auteur, conférencier et membre de la Société de géographie ; Valérie Masson-Delmotte, climatologue ; Baptiste Morizot, philosophe ; Marc Mortelmans, journaliste environnement (podcast « Baleine sous gravillon », « Mécaniques du Vivant », France Culture) ; Vincent Munier, photographe et cinéaste (La Panthère des neiges, César 2022) ; Claire Nouvian, fondatrice de Bloom ; Patrice Raydelet, photographe, écrivain et conférencier, fondateur de l’association Le Pôle grands prédateurs ; Estienne Rodary, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement ; François Sarano, océanographe, compagnon du commandant Cousteau et fondateur de l’association Longitude 181 ; Thomas Ruys, président de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) ; François Savatier, journaliste scientifique ; Bertrand Sicard, président de l’Association nationale pour la défense et la sauvegarde des grands prédateurs (Ferus) ; Francis Schirck, éleveur ; Sébastien Testa, président de Focale pour le sauvage ; Baptiste Trény, président et fondateur de Créateur de forêt ; Yves Verilhac, naturaliste et ancien directeur de la LPO ; Jean-Louis Yengué, géographe et professeur des universités (université de Poitiers).