Ce mardi 3 décembre, le comité permanent de la Convention de Berne se réunit à Strasbourg pour examiner une proposition alarmante soumise par la Commission européenne : le déclassement du statut de protection du loup. Si le comité décide d’accéder à la demande de l’UE, la décision serait politique, loin de toute considération écologique et scientifique mais influencée par des lobbies puissants. Elle ouvrirait une brèche dangereuse, fragilisant les politiques environnementales de conservation de la nature et de coexistence avec la faune sauvage, pourtant peu nombreuses.
Le rôle essentiel du loup dans les écosystèmes
Le loup a toute sa place dans nos écosystèmes. Dans une nature libre, le loup est au sommet de la chaîne alimentaire et joue un rôle essentiel dans la régulation des populations d’ongulés sauvages, comme les cerfs, les chevreuils ou les sangliers. En contrôlant et en dispersant ces populations, les loups contribuent à réduire l’abroutissement des jeunes arbres et à prévenir le surpâturage, permettant ainsi à une plus grande variété d’espèces animales et végétales de prospérer. Les loups se nourrissent de préférence de proies fragiles (blessées ou malades), permettant ainsi d’assainir et de fortifier la génétique d’une espèce. Grâce à cette régulation, les loups permettent d’éviter des épidémies. Des études menées en Espagne et en Slovaquie ont démontré que la présence des grands prédateurs a permis de diminuer les cas d’infection de tuberculose bovine et de peste porcine.
L’argument infondé de la surpopulation des loups
L’argument de la « surpopulation » des loups qu’il faudrait « gérer » par la chasse ne repose sur aucun argument scientifique. Les prédateurs sont « programmés », biologiquement, pour ne jamais être en surnombre : ils s’adaptent à leurs milieux et à la quantité de nourriture qui se trouve à leur disposition. Les chasser provoque même l’effet inverse : les études menées sur les renards, notamment, démontrent que plus la pression de chasse est forte, plus l’espèce compense ses pertes d’individus par des portées plus importantes les années suivantes. Aucune étude scientifique ne prouve que la population de loups en Europe soit trop élevée et pose un problème écologique. Si les populations de loups ont augmenté dans certaines régions, elles sont loin d’être stabilisées à l’échelle européenne pour garantir la survie à long terme de l’espèce. Le loup reste vulnérable dans de nombreuses zones où il n’a pas encore recouvré son habitat historique. Le déclassement du loup risque non seulement de compromettre des années d’efforts de conservation mais pourrait également entraîner une réduction de la diversité génétique de l’espèce, cruciale pour la résilience face aux maladies, aux changements climatiques ou aux pressions anthropiques.
L’inefficacité de l’abattage pour réduire les conflits
Plusieurs études montrent que l’abattage de loups ne réduit pas les conflits avec les éleveurs. Les loups vivent en meutes, structurées par une hiérarchie sociale complexe stabilisée par le couple reproducteur. Or l’abattage arbitraire de certains individus génère le plus souvent une désorganisation, dispersant les groupes et provoquant la fuite de jeunes loups désorientés qui, ne bénéficiant plus de la stabilité de la meute, peuvent être plus enclins à attaquer les troupeaux mal protégés. Pire : ouvrir la chasse aux loups, c’est permettre l’abattage d’individus au hasard d’une rencontre, et non plus seulement ceux qui sont responsables d’attaques sur les troupeaux. Un rapport de la Commission européenne elle-même constatait en 2023 que la chasse « ne semble pas réduire la déprédation des loups sur le bétail ».
Des mesures de protection alternatives existent
Plus que les tirs, de nombreuses mesures ont fait leurs preuves : clôtures électriques, chiens de protection, surveillance par les bergers, aide de bénévoles notamment pour des veilles de nuit… En décidant de réduire le niveau de protection des loups, l’UE continuera-t-elle à financer les mesures de protection des troupeaux ? Rien n’est moins sûr car les tirs de loups ne seront plus dérogatoires et donc a priori plus corrélés à la mise en place de mesures de protection.
La coexistence comme solution durable
Compte-tenu des études comportementalistes et des expériences de cohabitation menées ces dernières décennies en Europe, il paraît évident que le déclassement du loup ne résoudra pas les conflits avec le monde pastoral de manière durable. Seules des solutions basées sur la coexistence et la prévention des attaques sont jugées efficaces à long terme. De nombreux éleveurs tolérants le disent : « les loups étaient là avant nous, ils doivent avoir leurs parts, apprenons à coexister ». D’autant que selon les données de la Commission elle-même, les loups tuent 0,065 % du cheptel ovin européen !
Une décision juridiquement et scientifiquement contestable
À la lumière de ces éléments, il apparaît clairement que la demande de la commission européenne de baisser la protection du loup est non seulement écologiquement et scientifiquement infondée, mais également juridiquement contestable en ce qu’elle ne respecte pas le droit de l’Union européenne. En effet, l’article 19 de la directive européenne “Habitats” n’envisage le changement du statut d’une espèce strictement protégée qu’en présence de nouvelles données « scientifiques et techniques » et à l’unanimité des États membres. Or, il n’existe actuellement ni nouvelles données scientifiques ni unanimité parmi les États membres. Une telle demande va donc à l’encontre des principes de droit européen et risque, si elle est suivie par le comité de Berne, de compromettre des décennies d’efforts de conservation, mettant en péril la biodiversité et la résilience de nos écosystèmes.
L’ASPAS exprime à nouveau son profond désaccord avec cette proposition et appelle la Convention de Berne à prendre une décision demain.
“Déclasser le loup, c’est ouvrir la porte à la destruction de notre patrimoine naturel. Certains interrogent même déjà la nécessité de protéger les ours, les lynx, les vautours et même les forêts. Ne laissons pas les lobbies dicter l’avenir de notre planète et arrêtons de piller la nature. Le 21ème siècle doit être celui de la paix avec la nature qui nous nourrit et nous émerveille.”
Thierry Ruf, administrateur et référent loup de l’ASPAS