À l’ASPAS, nous pensons que la libre évolution de la nature est UNE des réponses possibles à la crise du climat et de la biodiversité. Or notre démarche est mal comprise par certains acteurs de la société. Dans ce texte, le philosophe Baptiste Morizot ouvre des perspectives qui, nous l’espérons, pourront clarifier les enjeux.
Défendre des foyers de libre évolution, comme les Réserves de Vie Sauvage, est un projet controversé. Tout l’enjeu est de repenser leur sens et leur légitimité.
Le paradoxe de la réserve naturelle traditionnelle, issue de la tradition américaine, est de présupposer la destruction autour de la réserve de ce qu’elle veut protéger dedans. Elle est dualiste : en opposant les intérêts des humains d’un côté et de la nature de l’autre, elle est obligée de sacrifier partout ce qu’elle protège ici. On le voit dans la tradition nord-américaine de la conservation, intrinsèquement nouée à l’histoire du capitalisme états-unien : la réserve de wilderness constitue par nature quelque chose comme le petit pourcentage de bonne conscience pour laisser l’agrobusiness capitaliste exploiter aveuglément tout le reste alentour. Autrement dit, le problème de cette ancienne logique de sanctuarisation, ce n’est pas ce qu’elle fait dans les sanctuaires, c’est ce qu’elle laisse faire et justifie partout ailleurs. Ce n’est pas ce qu’elle chérit : c’est ce qu’elle néglige.
L’enjeu pour une association intéressée par la protection forte des milieux (comme l’ASPAS avec ses Réserves de Vie Sauvage®) est de porter un nouveau modèle de rapport au monde vivant, qui soit mûri et plus riche que la traditionnelle réserve dualiste. Mais pas de renoncer à toute protection forte des milieux pour autant. C’est la ligne de crête si difficile à trouver. Il s’agit d’inventer un autre concept de réserve, sorti du dualisme entre exploitation et sanctuarisation. La réserve dualiste doit être dépassée par un concept moins hors sol de réserve, dans lequel la logique serait inversée : les foyers de libre évolution, ce n’est pas ce qui vient après l’exploitation extractiviste, pour compenser, réagir, sauver les meubles en acceptant de détruire le reste – c’est la boussole des rapports soutenables au territoire.
Il s’agit bien ici de défendre le projet des Réserves de Vie Sauvage®, mais en se demandant pour quelles raisons. Est-ce parce qu’on aime la nature pure, intacte, humains exclus, parce qu’ils ne seraient qu’une force de pollution et de destruction, comme Adam et Êve interdits dans le jardin d’Éden ? Je suis personnellement en désaccord avec cette approche : elle repose sur une sorte de misanthropie, sur la croyance que les animaux sauvages seraient les derniers purs et innocents, quand les humains seraient intrinsèquement coupables et profanateurs. Ce ne sont pas les humains « en général » le problème, mais certaines attitudes culturelles, formes économiques, inerties politiques. Les humains sont aussi la solution aux problèmes posés par nos formes de production et d’exploitation du vivant.
L’approche que je propose ici pour défendre les Réserves de Vie Sauvage® est tout autre : les humains sont avant tout des vivants, et comme tels, ils appartiennent à la grande communauté des vivants de la Terre, il n’y a pas de lieu où l’on pourrait décréter qu’ils n’auraient pas leur place, ils sont chez eux – mais en même temps toujours chez tant d’autres. Cela ne revient pas à dire que nous humains avons le droit de tout faire partout : il y a des lieux dans lesquels on peut défendre que toute exploitation soit interdite, sans diaboliser « l’exploitation » en général (ou bien l’on se condamne à mourir de faim).
Alors pourquoi lutter pour les Réserves de Vie Sauvage® ? Mon intuition, c’est que c’est autre chose qui se défend ici. C’est l’émerveillement face aux puissances du monde vivant quand on arrête de le forcer, de le pressurer, de le mettre au travail : face à sa capacité de régénération, de déploiement, d’épanouissement. De ce point de vue, défendre une RVS, c’est retrouver une confiance dans les dynamiques du vivant. C’est affirmer et faire l’expérience aussi que le monde vivant sans nous n’est pas déficient. C’est affirmer le droit des dynamiques du vivant à se déployer sans être mises au travail. À soi seul, c’est une raison suffisante. Mais cette manière de justifier les Réserves de Vie Sauvage® a aussi des effets politiques. Si ce qu’on défend, c’est de l’intact, du pur, on culpabilise tous ceux qui agissent sur le milieu, et on entre en conflit avec eux : les conservateurs d’espaces naturels, les ingénieurs écologues, la sylviculture même la moins violente, les permaculteurs les plus respectueux du sol et de l’écosystème, l’agriculture paysanne lorsqu’elle est intensément écologique. On s’invente des ennemis partout.
Mais si le critère n’est plus de sanctuariser de l’intact contre un humain diabolisé, mais de défendre des lieux où s’exprime une confiance dans les dynamiques du vivant, subitement le jeu des sept familles change : on n’est plus splendidement isolés à défendre le paradis perdu, on se retrouve dans la même famille que tous ceux qui défendent des pratiques qui affirment leur confiance dans les dynamiques du vivant. Et c’est de cette alliance que nous avons besoin pour faire front commun, et raviver les braises du vivant.
Mûrir les foyers de libre évolution, c’est les penser toujours dans un maillage d’alternatives dans le rapport au milieu. Le réensauvagement en ce sens précis, ce n’est pas une position puriste, “seul contre tous”, c’est un maillon de la chaîne dans la protection des milieux, alliée avec des formes d’exploitation forestière non violentes, des agroécologies soutenables et hospitalières pour la vie sauvage, un projet de société énergétiquement sobre et solidaire. Dans cette perspective, la libre évolution, ça n’est plus non plus pour la nature, au détriment des humains : ce sont des foyers rayonnants de vie pour la communauté des vivants, dont les humains sont membres. Concrètement, cela veut dire qu’aujourd’hui, une association de protection de la nature ne peut plus porter la défense du sauvage sans penser un projet de société plus global. On ne peut plus protéger hors sol, comme s’il n’y avait pas de monde, comme si on ne consommait pas. On ne peut plus “protéger la nature sauvage” sans défendre un monde humain, agricole qui soit compatible avec elle, et épanouissant pour les relations.
Baptiste Morizot
Dans son nouveau livre Raviver les braises du vivant à paraître en septembre, et en pré-vente dès aujourd’hui à l’ASPAS, le philosophe-pisteur Baptiste Morizot nous invite cette fois à devenir de véritables négociateurs et diplomates au service du vivant.
Raviver les braises du vivant
14 x 19 cm – 208 pages – Ouvrage broché – 20 €
En pré-vente à l’ASPAS :
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Pourquoi défendre les forêts en libre évolution ? • ASPAS
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