Jeudi 21 août 2025, 6 heures du matin. Nous sommes une poignée de militants et naturalistes à nous être donné rendez-vous en plein cœur de la Réserve naturelle des Ramières, grande zone humide de 300 hectares traversée de bout en bout par la rivière Drôme.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas venus pour contempler les oiseaux. Nous sommes présents pour témoigner de l’ouverture de la chasse aux “gibiers d’eau” et du dérangement provoqué par ce funeste loisir. Oui vous avez bien lu : la chasse aux canards colverts, sarcelles, fuligules et autres bécassines des marais est autorisée dans cet espace soi-disant “protégé”, en pleine saison estivale ! Depuis des années, l’ASPAS se bat aux côtés des associations locales pour obtenir la fin de cette hérésie.
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En cette matinée de fausse tranquillité, il fait quasi nuit noire, le temps est globalement couvert et seul un fragment de lune et quelques étoiles apparaissent timidement à travers les nuages.

La veille, après un mois et demi de sécheresse et 10 jours de températures caniculaires, un gros orage a bien refroidi l’atmosphère. Il a surtout amené avec lui de la pluie, tant attendue, par nous les humains, mais surtout par la faune et la flore, premières victimes des effets délétères du changement climatique. Face à de tels aléas, la logique voudrait que les différentes ouvertures anticipées de la chasse soient suspendues, ou a minima décalées, pour offrir du répit à la faune sauvage. Hélas, c’est la logique cynégétique qui est (presque) toujours retenue par les préfets : 41 degrés à l’ombre, un samedi 15 août dans la Drôme, n’auront pas suffi, par exemple, pour reporter la nouvelle saison des hostilités à l’encontre des sangliers…
Armés de nos seules jumelles et appareils photos, nous scrutons ciel, rivière et ripisylve pour tenter d’observer les premiers oiseaux actifs de la journée.
Quelque part dans le lit du cours d’eau, deux lumières faiblardes et mouvantes trahissent l’arrivée et l’installation probable de chasseurs. Des corneilles noires passent au-dessus de nous, suivies d’un groupe de pigeons ramiers. Quelques hérons se mêlent au mouvement, dont le rare pourpré.

Le jour se lève péniblement lorsque soudain, à 6 h 25, plusieurs coups de fusil brisent avec fracas la sérénité des lieux. D’autres oiseaux s’envolent, paniqués. Impossible, à cette heure-ci, de différencier avec certitude un canard protégé d’une espèce dont la chasse est autorisée. Les harles bièvres, protégés et présents en petite quantité dans la Réserve, n’ont qu’à bien se tenir…
Une dizaine de minutes plus tard, deux canards colverts remontent la Drôme à basse altitude. Ils plongent derrière une rangée d’arbres pour se poser sur l’eau. Une arrivée immédiatement accueillie par d’autres coups de fusils, tirés par les nemrods planqués quelque part dans l’épaisse végétation. Aucune trace du crime visible depuis notre promontoire, mais son issue fatale ne laisse guère planer de doute…

Au total, une quinzaine de coups de feu auront accompagné notre matinée d’observations, issus d’au moins deux endroits différents.
Peu avant 9 h, au moment de quitter les lieux, les quelques naturalistes rescapés de cette tragédie locale surprendront deux jeunes chasseurs regagnant la berge, fusils rangés dans les étuis mais chien non tenu en laisse, comme le stipule pourtant la réglementation de la Réserve naturelle (à ce moment précis, ils ne sont plus en action de chasse, ce sont de simples promeneurs…). Un garde des Ramières, arrivé fortuitement à leur hauteur, leur fera la remarque mais sans pour autant les verbaliser.
Quels enseignements tirer de cette petite virée ? Que les chasseurs de “gibier d’eau” sont certes très peu nombreux en ce lieu, mais qu’il en suffit d’un pour créer une incidence négative sur l’ensemble de l’avifaune de la Réserve naturelle des Ramières. Quand certains oiseaux sont tués, de nombreux autres sont dérangés, en pleine saison de migration estivale qui plus est…

En permettant à une petite minorité de pratiquer cette macabre activité, l’État empêche la Réserve naturelle de jouer son rôle… de réserve naturelle. La situation est tellement absurde et paradoxale que les oiseaux, qui fuient la chasse au sein de la Réserve, sont davantage tranquilles à l’extérieur de cette aire “protégée” !
Et maintenant ?
En collaboration avec les associations Cohérence Nature, FRAPNA et LPO Drôme-Ardèche, l’ASPAS va mener de nouvelles actions ces prochaines semaines pour obtenir du préfet, sur l’ensemble du domaine public fluvial, l’instauration d’une Réserve de chasse et de faune sauvage (RCFS). Une Réserve créée dans la Réserve ? Cela peut paraître assez incongru, mais c’est le moyen le plus simple pour faire taire les fusils et garantir aux oiseaux un véritable havre de paix !
En février 2024, un jugement du tribunal administratif de Grenoble a en effet reconnu l’incidence négative de la chasse sur les oiseaux dans les Ramières et a enjoint au préfet d’engager la procédure de création de cette fameuse RCFS. C’est ainsi que quelques mois plus tard, un projet d’arrêté a été soumis à consultation publique, plébiscité par près de 70 % des répondants.

au coeur de la Réserve naturelle © JM Faton
Mais depuis, plus rien… L’arrêté final n’est toujours pas paru et la nouvelle saison de chasse a pu commencer en toute impunité. En cause ? L’opposition majoritaire des maires des communes concernées par les Ramières, et surtout celle du président de la Communauté de communes du val de Drôme, Jean Serret.
En résumé : le loisir d’une poignée de chasseurs, soutenus par une poignée d’élus locaux, vaut visiblement plus qu’une décision de justice administrative et l’avis de centaines de milliers de citoyens !
Il est à espérer que la nouvelle préfète de la Drôme, qui entre en fonction début septembre et va reprendre ce dossier brûlant en main, aura beaucoup plus de courage politique que son prédécesseur…
Quoi qu’il en soit, parions qu’à l’approche des prochaines élections municipales, les nombreux citoyens* de la vallée sensibles à la cause de l’interdiction de la chasse dans les Ramières risquent fort de se rappeler cet épisode peu glorieux pour la démocratie locale !
* Une pétition lancée en 2019 par le Collectif citoyens et nature en Val de Drôme a recueilli plus de 62 000 signatures
© Photo d’en-tête : R. Holding / ASPAS

