Article mis à jour le 11 septembre 2024
Il avait tué un loup à l’aide d’un gigot empoisonné en mars 2022 : un jeune éleveur, chasseur et conseiller municipal de son village, comparaissait le 10 septembre 2024 devant le tribunal correctionnel de Valence. Quatre autres individus étaient également impliqués dans cette affaire choc dont l’enquête, rondement co-menée par la gendarmerie et l’OFB, jette une lumière crue sur l’effroyable réalité du braconnage en France. L’ASPAS était partie civile dans cette affaire, aux côtés de nombreuses autres associations. Le délibéré sera rendu le 24 octobre prochain.
Le 4 mars 2022, un groupe de randonneurs découvre un cadavre de loup au bord d’un chemin balisé, sur la commune de Crupies, dans la Drôme. Plutôt que d’appeler l’OFB ou la gendarmerie, l’un des randonneurs (par ailleurs chasseur) téléphone à Fabien D., un habitant local, qui n’est autre que le propriétaire du terrain sur lequel a été trouvé l’animal, lui aussi chasseur et membre de l’ACCA locale.
La nouvelle parvient vite aux oreilles de Thomas D., le principal protagoniste dans l’affaire, et neveu du propriétaire. Eleveur de brebis sur la commune, Thomas D. est lui aussi chasseur et conseiller municipal depuis 2020. Avec son cousin Loïc D. (éleveur et chasseur également), ils se retrouvent sur place pour déplacer à trois le cadavre du loup et le mettre dans un congélateur coffre hors-service. L’oncle utilisera ensuite sa tractopelle pour enterrer le tout et faire disparaître toute trace…
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L’OFB ne sera informée de l’existence du loup mort que 6 jours après sa découverte, par l’intermédiaire d’une amie d’une autre randonneuse du groupe. Arrivés sur place, les inspecteurs ne retrouvent pas le loup, mais ils ne sont pas surpris car ils ont déjà flairé l’acte de braconnage : en analysant les photos faites par les randonneurs, ils jugent en effet la mort du jeune loup très suspecte (pas de blessure apparente, du liquide qui sort de l’anus, des indices de balayage du sol au niveau des pattes).
L’enquête les conduira rapidement sur les traces de la famille D. et en particulier Thomas., déjà connu des services de la gendarmerie pour son implication dans une autre affaire pénale. C’est notamment en interceptant ses SMS et appels téléphoniques que les autorités parviennent à remonter tout le fil de l’affaire…
Un puissant poison récupéré chez un agriculteur retraité
Pour empoisonner le loup, Thomas D. a récupéré auprès d’Albert F. – un agriculteur retraité d’une commune voisine -, des billes bleues de Curater, un dangereux pesticide à base de carbofuran interdit à la vente depuis 2008. Cet agriculteur, qui se trouve être un chasseur lui aussi, ne porte pas particulièrement les loups dans son cœur : ils seraient responsables, selon lui, de la disparition des chevreuils et des sangliers*…
Une fois le poison en poche, Thomas D. suit les recommandations de son père (président de l’ACCA de Crupies) pour le dissimuler dans un gigot d’une de ses brebis. Gigot qui sera judicieusement placé dans le charnier des déchets de chasse de l’ACCA, situé à deux pas de sa bergerie, et sur lequel il a installé une caméra à détection automatique pour tenter de filmer le loup emportant l’appât…
Après plusieurs essais infructueux, Thomas D. réussira finalement son coup, dans la nuit du 3 mars 2022.
Quelles étaient les motivations de Thomas D. ?
Jeune éleveur installé à Crupies depuis 2020, Thomas D. possède un cheptel d’environ 200 moutons, élevés pour la viande. Il reçoit 40 000 euros de la PAC et semble plutôt bien équipé pour protéger son troupeau : il a des chiens, il utilise des filets électrifiés et surveille régulièrement ses bêtes. Il peut également les rentrer dans sa bergerie, le soir.
Il a malgré tout subi quelques attaques mais ce n’est pas le carnage non plus : en 2022, année où il passe à l’acte, seule une brebis a apparemment été tuée par le loup, pour laquelle il a été indemnisé, ainsi qu’un chien de protection.
Le fait est que Thomas D. semble baigner dans un milieu très hostile aux loups : que ce soit son père (président de l’ACCA de Crupies), son oncle, son cousin, l’agriculteur retraité dont il a repris la ferme, l’autre agriculteur auprès de qui il s’est fourni en poison ainsi que plusieurs amis éleveurs et chasseurs des environs, tous manifestent une aversion non dissimulée envers le grand prédateur. Les écoutes téléphoniques permettent de comprendre que plusieurs pratiqueraient eux aussi l’empoisonnement de loups, ou du moins disent vouloir le faire…
L’enquête de l’OFB révèle que Thomas D. semble particulièrement motivé d’éradiquer un maximum de loups. S’il s’est infiltré dans le réseau loup/lynx de l’OFB, c’est uniquement dans le but d’obtenir toute information utile sur le comportement des loups et leurs zones de présence, pour aller les braconner.
Un délibéré attendu pour le 24 octobre 2024
L’ASPAS était partie civile dans cet important procès, aux côtés de nombreuses autres associations de protection de la nature. La Fédération des chasseurs de la Drôme, elle aussi pourtant agréée au titre de la protection de la nature, a brillé par son absence, ce qui en long sur son acceptation du loup dans le département…
A l’issue de l’audience du 10 septembre, la procureure a requis 8 mois de prison ferme à l’encontre de Thomas D. ainsi qu’un retrait de permis de chasse pour une durée de 5 ans. Une amende a été requise à l’encontre de l’agriculteur fournisseur du poison (Albert F.), ainsi que des peines de prison avec sursis à l’encontre des trois autres prévenus (Loïc D., Fabien D. et Nathalie D.)
Face à la banalisation des destructions de loups et à la recrudescence inquiétante des actes illégaux, l’ASPAS espère que le juge prononcera des peines plus exemplaires, à hauteur de la gravité des faits. Rappelons que le loup, espèce strictement protégée en Europe, reste menacé en France avec une population d’à peine 1000 individus.
* un discours classique dans le monde de la chasse : qu’on se rappelle la campagne de communication anti-loup de la Fédération de chasse de la Drôme qui, en 2022, a directement accusé le grand prédateur de compromettre leurs plans de chasse de grand gibier…
#BalanceTonBraco : aidez-nous à coincer les tueurs de loups !
D’après le suivi des meutes menés sur le terrain par des experts naturalistes, les destructions et tentatives de destruction illégales seraient en augmentation à travers toutes les Alpes. Hélas, il n’est pas simple d’identifier les malfaiteurs et rares sont ceux qui se retrouvent à la barre d’un tribunal. Cette grosse affaire survenue à Crupies démontre pourtant que lorsque l’Etat y met les moyens, les braconniers peuvent être retrouvés et traduits en justice.
Si vous êtes témoins de dispositifs et d’agissements suspects (découverte d’appâts, de pièges, de cadavres d’animaux, etc.) contactez les associations de protection de la nature et prévenez les autorités (gendarmerie et Office français de la biodiversité).
Ne gardez plus vos doutes et découvertes suspectes pour vous : ne laissons plus les braconniers agir en toute impunité !
Pour témoigner auprès de l’ASPAS, écrivez à temoignage@aspas-nature.org